Cela paraît simple : " Il suffit d'avoir du plaisir ! " peut-on
penser naïvement. Et cela conduit naturellement à l'égoïsme
primaire : " je ferais tout pour m'approprier ce qui apporte du plaisir,
même s'il faut marcher sur les autres pour y arriver ". L'argent
étant le meilleur moyen de devenir propriétaire dans la société
actuelle , le but de la vie devient donc être le plus riche possible.
Et voilà des milliards d'êtres humains lancés dans
la course au profit, les plus avancés empêchant, par abus
de position dominante, les plus pauvres de les rattraper.
Or la recherche de l'argent ou du plaisir est souvent frustrante. On
se lasse rapidement des sensations déjà éprouvées.
Il faut donc en chercher de nouvelles. Et on est souvent déçu,
après avoir fourni de gros efforts pour l'acquérir, par un
objet très convoité ; il est rarement à la hauteur
de ce que l'on imaginait.
Et si le bonheur n'était pas qu'un simple plaisir ? Et si la
plupart des bons moments de notre existence étaient dus directement
ou indirectement à la bienveillance des autres ? Se pourrait-il
que nous soyons si nombreux à nous tromper ?
C'est un constat qu'inconsciemment nous faisons très tôt : les sourires, les gazouillis et autres gesticulations d'un bébé traduisent dès le plus jeune âge l'influence bénéfique de ses parents et de son entourage. Le nourrisson semble heureux de la simple présence des autres, et il s'irrite de leur absence. On pourrait affirmer ,dans un premier temps, que ce bonheur est dû au plaisir fourni par ses parents : nourriture, chaleur, caresses, voire les changements de couche... Mais alors il ne devrait manifester son contentement de voir d'autres personnes qu'en cas de besoin, ce qui est loin d'être le cas. On peut dire sans trop s'avancer que le bébé a " enregistré " les personnes de son entourage comme étant des fournisseurs de plaisirs et qu'il se réjouit de leur proximité. A notre début , bonheur et plaisir se confondent.
Au cours de l'enfance on a encore souvent tendance à considérer
ses parents comme des distributeurs : " Maman, Papa, je veux une glace
! ". " On fait un câlin ? " sont des exemples de phrases courantes.
Cependant la notion d'amitié et celle d'amour (non égoïste)
apparaissent avec les premiers dons " désintéressés
" à des personnes proches. On aime recevoir des surprises et donner
des cadeaux.
Le même objet semble avoir plus de valeur s'il est donné
par quelqu'un que si on le prend ou si on l'achète.
Pour l'enfant, il commence à devenir plus agréable de recevoir un objet si il ne s'y attend pas. Le jeu est aussi plus agréable avec les autres. La joie d'arriver à gagner à un jeu collectif est plus incertaine que celle de réussir tout seul un casse-tête, et elle n'en est que plus forte. Les discussions avec les camarades sont intéressantes : on apprend des astuces auxquelles on avait pas pensé. Le simple fait de les découvrir sans s'y attendre est une joie.
S'il devient clair pour la conscience de l'adolescent que les autres
sont une source de bonheur, il est moins évident de ne pas les considérer
comme des objets. L'ancien enfant a été marqué par
tous ces jouets et toutes ces friandises qui lui donnaient du plaisir.
Pourquoi les autres ne seraient pas en quelque sorte une gâterie
supplémentaire ? Le développement des caresses et de la sexualité
fait penser que les autres peuvent nous donner des sensations agréables
au niveau du corps, un peu comme les friandises le font au niveau des papilles
gustatives. On devient possessif avec nos amis, comme on l'était
avec nos jouets. Comme le bonheur procuré par nos amis est plus
intense, la jalousie prend une ampleur démesurée. Mais il
n'est pas agréable pour notre entourage d'être possédé
comme des objets, et des conflits douloureux naissent de cette forme aiguë
d'égoïsme.
Dans le même temps, nos parents cessent d'être des " distributeurs
". Ils nous demandent d'être utiles et de leur apporter quelque chose
aussi. Décidément, les autres sont plus difficiles que ce
que l'on croyait... Quelle déception !
Il y a bien des définitions du passage à l'âge adulte,
la plus simple étant celle d'avoir 18 ans (ou 21).
" Faire plus attention au bonheur d'autrui " est une meilleure description
de ce phénomène.
Par exemple, un jeune peut s'apercevoir à sa majorité
que ses parents ne le garderont pas dans leur maison s'il leur rend la
vie impossible. C'est peut-être par les conséquences négatives
du malheur de notre entourage, par l'absence d'affection qui en résulte,
que l'on se rend compte de leur importance.
Quand on a compris qu'engueuler sa petite amie n'est pas suffisant
pour qu'elle ne nous quitte pas, on peut arriver à se remettre en
cause : " peut-être m'a-t-elle quitté parce que je ne
la rendait pas heureuse ? "
De même, en l'expérimentant, on se rend compte que le
meilleur moyen de se faire de bons amis est de leur rendre service, de
les inviter, de les faire rire, etc...
Mais même avec la meilleur volonté du monde, on est souvent
sujet à des déceptions avec les autres. Telle personne à
qui on a offert un cadeau ne nous a pas remercié. Telle autre n'a
même pas voulu nous rendre le même service qu'on lui avait
rendu auparavant... L'investissement semble rarement rentable... Comme
pour les objets très convoités, le résultat est rarement
à la hauteur de nos espérances.
Et si le problème venait justement de nos expectatives ?
Si le bonheur est une surprise agréable, il vaut mieux éviter
de le prévoir ! Sinon il n'y a plus d'effet de surprise. Un tour
de magie est plus spectaculaire si on ne sait pas comment il fonctionne.
Il n'est peut-être pas bon de calculer ce que vont nous apporter
les autres et de quelle manière : au mieux, s'il arrive ce que l'on
avait prévu, il n'y aura pas de surprise. Au pire, si cela n'arrive
pas, on risque d'être déçu, et la déception
est une forme aiguë de malheur.
Comment faire pour que les autres me rendent heureux à leur tour,
sans que je sois obsédé par cette question ?
Si je concentre mes gentillesses sur un individu, rien ne me dit que
ce n'est pas un égoïste qui profitera au maximum tout en donnant
le minimum.
Par contre je peux essayer de rendre heureux plusieurs personnes, en
favorisant celles qui semblent les plus généreuses, un juste
retour somme toute. Mais on peut se tromper : les personnes qu'on croyait
généreuses peuvent s'avérer égoïstes...
et on tombe de haut !
Comment éviter toutes ces déceptions ? En prenant le
mal par la racine ! Si mes expectatives sont la source de mes maux, alors
il ne faut plus présager du tout de mon bonheur.
Il s'agit ni plus ni moins d'essayer de rendre heureux les autres,
sans imaginer quelles pourraient être les contreparties.
Mais si je n'y pense pas, la contrepartie viendra-t-elle quand même
, par surprise ?
Peut-être !
Prenons la caricature d'un individu égoïste auquel je rend
service: s'il s'aperçoit que je donne plus aux gens qui le méritent,
il fera peut-être des efforts pour donner lui aussi.
Dans le cas d'un individu altruiste, le problème ne se pose
pas.
Dans tous les cas il est possible d'avoir un retour. Mais si je ne
veux pas être déçu, il vaut mieux que je n'évalue
pas celui-ci : ni sa probabilité, ni son ampleur, ni sa nature.
Si mon bonheur dépend de celui des autres, il vaut mieux que je rende le maximum de gens heureux. Cela évitera d'ailleurs que je ne m'occupe que de quelques personnes qui ne le mériteraient pas...
Évidemment, peu de gens ont la possibilité d'améliorer
sensiblement la condition de l'humanité. Quelques dirigeants peut-être,
quelques philosophes (suivez mon regard)... Citons aussi les inventeurs,
les artistes, les dignitaires religieux ou les organisateurs de révolutions
(à condition que celles-ci soient positives et non destructrices)...
Cependant chacun participe à l'édifice, et tel membre
d'une association de quartier, tel gardien d'immeuble, tel employé
peut avoir une influence positive sur de nombreuses personnes autour de
lui.
D'ailleurs la petite association peut grandir, inciter à la
création d'autres organisations similaires et avoir une influence
sur tout le pays, voire plusieurs pays !
En fait, par l'intermédiaire des médias, chacun de nous
pourrait avoir un peu la parole et faire partager ses " bonnes idées
" aux autres. Je pense aux courriers des lecteurs dans les journaux, aux
libres antennes à la radio ou la télé, ou même
à la possibilité de diffuser son point de vue au monde entier
sur internet.
Les partis politiques démocratiques ont évidemment un
rôle à jouer. Personne ne peut dire si les gens sont heureux,
à part les gens eux-mêmes. C'est le principe des élections
et des référendums : seul le peuple peut exprimer son rejet
ou son contentement. On peut donc promouvoir la démocratie directe
(élections plus fréquentes et référendums d'initiative
populaires) en utilisant par exemple les techniques modernes de l'informatique
(Internet, Minitel ) du téléphone (serveurs vocaux) du courrier
(centres de lecture optique) ou plus classiquement des urnes.
En matière d'économie on peut lutter contre la concentration
des capitaux : depuis des années, un peu partout dans le monde,
une minorité de riches augmente sa fortune alors qu'une majorité
voit son niveau de vie stagner ou diminuer. De même, une minorité
de grandes entreprises rachètent ou poussent à la faillite
les plus petites, aboutissant à des monopoles ou des quasi monopoles.
Rappelons la raison des lois antitrust : en cas de monopole une entreprise
peut augmenter ses prix comme elle veut, diminuer la qualité de
ses produits et enfin imposer à ses employés des salaires
et des conditions de travail déplorables.
On peut même promouvoir des entreprises vraiment citoyennes dans
lesquelles la majeure partie des décisions seraient prises démocratiquement.
(les syndicats et les coopératives pourraient montrer le chemin...)
etc... etc...
Si on est croyant, quelque soit la religion, on est forcément
préoccupé par le bonheur des autres. Je ne citerais que les
religions chrétiennes, les plus répandues en France :
" Le secret est de rendre les autres heureux " " Il ne faut pas faire
aux autres ce qu'on aimerait pas qu'ils nous fassent, c'est la chose la
plus importante "
" " il faut aider les pauvres " " pardonner à ceux qui
nous ont offensé "
(ne pas nuire plus qu'il est nécessaire pour se protéger)
etc...
De fait, il est logique que notre créateur veuille notre bonheur ! Et si il a doté l'homme de la faculté d'éprouver du bonheur et du malheur, c'est sûrement pour que sa créature tienne compte de cette sensation et s'oriente vers les actions qui le rendent heureux.
Si on est athée, on en a pas moins de l'imagination !
On a vu précédemment qu'un bon moyen d'être heureux
était de se préoccuper du bonheur de l'humanité. Mais
pour nos actions de tous les jours cela semble bien abstrait... Pourtant
si on imagine l'ensemble des êtres humains comme une seule et même
personne, comme un Dieu en quelque sorte, il est parfois plus facile de
voir quels sont nos actes que l'humanité jugerait bons et quels
sont ceux qu'elle jugerait mauvais. " Dieu nous voit !" disent les croyants.
De la même manière, un athée a le droit d'imaginer
qu'un Dieu Humanité le regarde et le juge, si cela lui facilite
ses choix .
Il ne nous reste donc plus qu'à agir concrètement pour
le bien de l'humanité. Le paragraphe VII fournit quelques domaines
d'action. Mais peut-on améliorer notre manière d'agir ?
Je crois utile de mentionner par quelle méthode je suis arrivé
aux idées des paragraphes précédents. Il s'agit de
la méthode scientifique ! Il peut sembler pompeux d'employer ce
terme alors que je n'ai pas de diplôme de Docteur en Bonheur de l'Université,
pourtant je crois que cette méthode est utile dans bien des domaines,
y compris ceux touchant au sens de notre existence.
Rappelons en quoi consiste la méthode scientifique :
1 On se fixe un objectif ( par exemple et au hasard... " être
heureux ")
2 On expérimente des actions concrètes pour atteindre
cet objectif (par exemple... " manger une glace ")
3 On peut aussi faire appel à notre mémoire ou à
celle des autres : conversations, livres, etc... (" j'ai lu que des gens
étaient parfois heureux en regardant la télé, et souvent
ils s'ennuient... ")
4 On tire ensuite de ces expérimentations des conclusions (
par exemple : " le plaisir rend heureux mais pas longtemps ")
5 On synthétise ces conclusions en une théorie pratique
(" le bonheur est un plaisir nouveau ou inattendu ")
6 On déduit de cette théorie de nouvelles expérimentations
qui seront peut-être plus efficaces (par exemple : " si j'achète
quelque chose les yeux fermés, j'aurais peut-être un plaisir
inattendu ")
Et on recommence à l'étape 4 jusqu'à être satisfait (par exemple " il vaut mieux rendre heureux les autres que d'acheter les yeux fermés... ")
On a ainsi obtenu une théorie qui dans la pratique peut donner de bons résultats. J'en profite pour donner tort à ceux qui ne jurent que par l'action, ou à ceux qui ne jurent que par la réflexion. Il faut les deux, et menées de concert.
Voilà... et maintenant au boulot !